Lettre de Frans De Haes

 

Corroy-le-Château, 25. 4. 15

Cher Marcelin Pleynet,

Vous me pardonnerez le retard avec lequel je vous remercie de votre très aimable envoi de Libérations (retard dû au travail d’établissement et d’annotation de 672 lettres de Philippe Sollers à Dominique Rolin pour la période 1958-1980 : un trésor !).

J’ai lu votre livre – et le reprends souvent – heureux de retrouver chaque fois la singularité persistante et vigilante, tranchante aussi, du poète et du penseur… C’est avec votre « trans-culture », dont l’éventail est plus que jamais surprenant (art et littérature, philosophie et politique, économie et religion…) que vous contre-attaquez, face à la « volonté de négation et d’auto-négation » qui envahit toute la scène mondialisée.

Sans doute les passages qui m’aient le plus ému sont-ils ceux qui proposent une traversée écrite de villes (admirable évocation de Lisbonne !), de paysages, de jeux de lumière et d’eau (Venise, Paris, Nice) ; ceux aussi qui accompagnent la notation de votre Rimbaud, livre à reprendre, lui aussi, et qui renouvelle toute possible lecture. Comme dans L’Etendue musicale, comme dans toute votre trajectoire, le plus important est toujours l’intersection « poétique » d’un plan horizontal (la sensation, le physique, l’é-motion) et d’un plan vertical (culture, pensée critique, rationalisation mise à l’épreuve). Sur ce point j’ai été très attentif, bien sûr, à ce que vous dites de vos conversations avec Sollers.

Enfin, vous lisant j’ai pensé souvent à ces phrases de Kafka : « Avec la lumière la plus puissante, on peut dissoudre le monde. Devant les yeux faibles, il prend de la consistance ; devant de plus faibles encore, il lui pousse des poings ; devant de plus faibles encore il devient pudique et fracasse enfin qui ose le regarder. » On peut, bien entendu, remplacer « le monde » par « la société »…

Merci donc, cher Marcelin Pleynet, mille fois !

Croyez à ma très attentive amitié.

Frans De Haes