La beauté

L'avion qui vole, me semble-t-il, exceptionnellement bas, vient de passer au-dessus des Pyrénées. Je suis, comme chaque fois que je fais ce voyage, stupéfait par la grandiose beauté du paysage. Qui la dira ? Qui la décrira jamais ? Nous traversons ces montagnes qui coupent nos deux horizons en moins de quinze minutes. Rien n'est comparable à la splendeur de ce déroulement… aucune œuvre humaine ne peut rivaliser avec ce chef-d'œuvre naturel… Il y faut bien entendu l'avion, mais comme la misère et la tristesse de cet appareil, comme ses miraculeuses prouesses s'oublient vite en présence de ce monde vivant, fini et infini, de formes et de couleurs que magnifient les quatre éléments.
À l'altitude où nous sommes, les forêts qui montent à l'assaut de la montagne ne sont que de vastes manteaux sombres posés sur les épaules de lourds géants assoupis dans la blancheur neigeuse des cimes, et dont les membres étendus, dispersés par un sommeil qui n'a pas d'âge, se drapent plus bas de la délicate transparence perlée du brouillard. Sur l'ocre brun de leurs flancs, découpés d'une suite infinie de ravins et de falaises, sinue le fil clair des torrents et des rivières dont les lignes bleues aboutissent à des lacs grands comme des points d'exclamation, et où plonge notre ciel… Tout cela dans la mouvance désormais figée d'un monde, de dessins et de volumes, refermé sur la beauté d'une immensité sans partage…


Extrait du journal de l'année 1981, Le jour et l'heure, coll. « POL », Hachette, 1989.